L'Etape du Tour 2023
(mis en ligne par CR)
Dimanche 9 juillet 2023, le grand jour est arrivé ! Le gros morceau de la saison : l'Etape du Tour, 157 km entre Annemasse et Morzine via 6 cols dont la Ramaz et Joux-plane pour un dénivelé de plus de 4100 m !
Il est 8h45 quand le compte à rebours s'arrête et que mon sas (le 14) est lâché. Avant cela, je m'étais réveillé vers 4h30 puis étais venu en voiture depuis Morzine jusqu'à Annemasse en passant par Thonon. Je m'étais préparé et avais rejoins la zone de départ un peu plus d'une heure avant le gong. Le soleil brillait et ses rayons se faisaient déjà sentir sur la peau. Rien d'alarmant cependant à cet instant : 20°C.
Je suis partagé au moment du départ entre y aller tranquillement, histoire de monter en pression progressivement et d'économiser des forces pour plus tard, et commencer de façon plus dynamique avec pour objectif de prendre un maximum d'avance sur la barrière horaire. Oui, car après deux cols et 40 km il fallait être passé avant 13h08 sous peine d'être éliminé. Je choisis la seconde option, un peu contre-nature…
Les jambes tournent bien et il est très agréable de se retrouver avec des gars (et des filles) à un niveau pas trop éloigné du mien. Cela évite d'avoir des mecs qui déboulent de tous les côtés, le départ est ainsi nettement plus fluide et serein.
Il y a une dizaine de kilomètres de plat pour commencer. J'en profite pour remonter progressivement cette longue file ininterrompue de cyclistes de toutes nationalités. Je me fais la réflexion que je retrouve ce que j'ai connu sur l'Ardéchoise il y a plusieurs années, quand les 15000 participants se retrouvaient le même jour. Depuis l'instauration de l'Ardéchoise en plusieurs jours, on a perdu cet effet de masse et je trouve ça dommage… Là, on est plus de 16500 et du premier au dernier kilomètre, il y aura toujours du monde derrière, à côté et devant !
Les premières rampes commencent, plutôt douces pour aller chercher le pied du premier col, celui de Saxel (le plus simple de la journée). Je prends mon rythme et je continue de remonter la file. Bien sûr en parallèle, d'autres me dépassent. Je remarque que je commence à voir d'autres numéros de dossard, des 13000 (partis 7 minutes avants moi), des 12000 (partis 14 minutes avant moi) et même des 11000 (partis 21 minutes avant moi) !
Je bascule au sommet et je me sens bien, c'est de bonne augure. Le soleil ne nous écrase pas encore, j'en profite… Evidemment, dans la descente je reste prudent comme à mon habitude.
Très vite on enchaîne avec le second col, celui de Cou. Là, c'est le premier vrai test de grimpeur. Ce n'est pas long (7 km) mais il y a de la pente (7,7 % de moyenne et des passages à 12 %). Je progresse sans butter contre la pente. Mon 34x30 m'est bien utile et il le sera toute la journée ! Je continue de remonter la file et l'on me dépasse aussi…
Au sommet, le premier ravito se présente devant nous. L'occasion d'avoir une hydratation supplémentaire. Et puis première surprise, après quelques dizaines de mètres de descente, on remonte le col des Moises. Aïe ! Aïe ! Aïe ! Cette courte ascension me fait mal aux jambes et à la tête ! J'étais parti pour une descente et voilà qu'il faut remonter ! C'est de ma faute, j'avais mal regardé le profil de la course !
Heureusement, cela ne dure pas bien longtemps et je me retrouve dans la descente, pour de bon cette fois... Une descente qui nous offre une superbe vue sur le lac Léman tout proche !
Après une très courte vallée, nous nous attaquons au col du Feu, 5 km à 7,9 % avec des pentes à 13 % ! Le feu, au propre comme au figuré car annonciateur quelques kilomètres plus loin de sensations pour le moins brulantes ! Mais pour l'heure, la végétation environnante nous permet d'être encore à l'ombre et donc de limiter les effets de cet astre bouillant. Je continue de monter à un rythme honnête (pour moi et pour cette pente) d'environ 9 km/h. Je sens malgré tout que je lutte davantage.
Au sommet, la première barrière horaire est là et j'ai 1h d'avance ! Ouf ! Maintenant, le jeu va être de conserver cette avance malgré la difficulté qui va aller crescendo… En attendant, le deuxième ravito me permet de m'alimenter en solide (afin de casser ma routine avec les gels) et toujours de m'hydrater abondamment.
Dans la descente qui suit, je sens la chaleur devenir de plus en plus étouffante. Au fur et à mesure que je perds de l'altitude, les degrés Celsius s'empilent ! Et dans le col de Jambaz, 6 km à 3,5 %, cela devient infernal ! Un coup d'œil à mon compteur et je n'en crois pas mes yeux : 45 °C !!!!!! On aurait pu faire cuire un steak sur mes avant-bras !
Après une longue descente puis une remontée en faux-plat, on arrive à Mieussy, troisième ravito, deuxième barrière horaire (1h15 d'avance), pied du col de la Ramaz (14 km à 7 % avec des pentes à 12 %) et début des grosses difficultés. Ce que l'on a fait pour le moment, c'était la partie facile. Reste le plus dur à faire ! Au ravito, en plus de manger et de boire, je m'arrose abondemment ! Je me consume de l'intérieur, de l'extérieur et il faut à tout prix que je limite ces effets néfastes.
Je pars à l'assaut de la Ramaz ! Dans les 5 premiers kilomètres d'ascension, de nombreux spectateurs nous arrosent à coup de jet d'eau, à coup de seau d'eau, nous épongent la nuque. Cela fait un bien fou ! Et cela me permet de grimper plutôt correctement. Je continue ainsi à remonter la file mais on me dépasse aussi allégrement. Disons que la proportion est en train de s'inverser…
Passés ces 5 premiers kilomètres, les spectateurs se font plus rares et donc les arrosages s'arrêtent. Il fait entre 35°C et 39°C. La pente est terrible ! Je dois m'arrêter, j'en peux plus ! Je suis écrasé par la chaleur, je surchauffe ! Je guette chaque coin d'ombre ! Je ne suis pas bien… Je vois plusieurs gars vomir, moi de ce côté là ça va mais qu'est-ce que j'ai chaud ! Je vois plusieurs gars allongés par terre, les yeux agars. Je vois des ambulances faire leur boulot…
J'avance à 5 km/h ! Je me dis que Joux Plane, ça va être infernal ! Je commence à m'inquiéter de la prochaine barrière horaire, je commence à faire des calculs… J'en conclue que ça devrait passer pour la prochaine à mois que j'aille encore plus mal dans les derniers kilomètres d'ascension.
Nous passons un long tunnel avec une sacrée pente ! Je m'arrête une nouvelle fois tout proche de la sortie pour récupérer à l'ombre et puis je remonte sur le vélo et super nouvelle : les 2-3 derniers kilomètres s'adoucissent ! Je retrouve le moral ! Je suis dans le dernier kilomètre, je veux accélérer et puis… la crampe ! C'est pas vrai ! A l'intérieur de la cuisse gauche comme dans le Galibier et l'Alpe d'Huez un an plus tôt…
Je prends mon mal en patience et une fois la douleur passée, j'y retourne et j'arrive enfin au sommet ! Nouveau ravito, je me déverse des litres sur la tête, sur le corps, dans la nuque, dans le dos, sur le ventre, sur les jambes ! J'avale tout ce que je trouve ! Nouvelle barrière horaire : je n'ai plus que 40 minutes d'avance. Allez, faut pas s'éterniser ! J'y retourne !
La dernière barrière horaire m'attend à Samoëns au pied du col de Joux Plane après une longue descente et une vallée de 10-12 km environ depuis Taninges. J'ai essayé de récupérer au maximum durant la descente car je sais que ce qui m'attend est indigeste ! Joux Plane c'est 11,5 km à 8,5 % avec de longs kilomètres entre 9 et 11 %. D'ailleurs, l'espace de quelques secondes je me demande si je ne vais pas prendre l'itinéraire pour rentrer directement à Morzine. Et puis je chasse vite ces idées de ma tête. Je me remobilise et je visualise la médaille pour laquelle je suis venu ici ! Rien à faire, j'abandonne pas ! Je vais au bout ! Et j'y vais d'autant plus que j'ai récupéré mon heure d'avance sur la barrière horaire !
Après le dernier ravito passé encore une fois à m'asperger abondamment, je m'élance dans cette terrible ascension. Ca attaque fort avec des pentes à 11 % d'entrée ! Et là, miracle, je retrouve de l'allant ! C'est le jour et la nuit avec la Ramaz ! C'est parti ! Je lâche les chevaux ! Je remonte les gars (et les filles) par grappe ! A l'inverse, quasiment personne ne parvient à me dépasser ! Je suis survolté ! Je ne comprends pas ce qui m'arrive ! Et puis je jette un œil sur le compteur et je vois 26°C ! Je lève la tête, le soleil avait disparu et les nuages envahissaient le ciel ! Je n'ai jamais été aussi heureux de voir des nuages ! Du coup, j'accélère encore un peu plus !
A 3,5 km du sommet alors que nous luttons depuis un moment contre des pentes à 9 %, j'entends deux gars discuter et l'un dire à l'autre : "plus que 500 m dur et après ça s'adoucit !". Je me dis : "ah ouais ? C'est pas le souvenir que j'en ai…". En 1991, nous avions, avec mon père, escaladé ce col pour aller voir le Tour. J'avais vu Fignon, Bugno, Chiappucci, Indurain dans le groupe des leaders et joie ultime, j'avais vu Lemond lâché 7 minutes derrière ce groupe ! C'était le jour où Chêne et Chapatte avaient fait de la radio à la télé, les hélicoptères ne pouvant décoller avec le mauvais temps qui régnait. J'ai le souvenir que nous nous étions positionnés un peu plus haut que l'endroit où j'ai entendu ces deux gars et pour moi, la grosse pente était loin d'être terminée ! Mais, mon souvenir est-il vraiment fiable ? Je m'accroche alors à ce que le gars avaient dit. Encore 500 m dur et après ça ira mieux… Et puis… Passés ces 500 m, un panneau qui annonce le prochain kilomètre à 10 % !!!! Damned !!! Ca me coupe les jambes ! Je perds 3-4 km/h ! Et puis… relation de cause à effet ou pas, les crampes reviennent ! Encore plus fortes ! Je dois m'arrêter contraint et forcé encore 2-3 fois dans les 3 derniers kilomètres…
C'est frustrant car la tête veut, le cœur veut mais le muscle se raidit et plus aucun mouvement de pédalage ne devient possible ! Je parviens malgré tout à me hisser au sommet. Mieux, à 300 m de celui-ci j'accélère franchement, je veux même passer sur le grand plateau mais le dérailleur ne veut plus ! Je finis malgré tout en effort maximal et je passe le sommet à plus de 20 km/h !
Les temps sont alors arrêtés, la descente sur Morzine ne compte pas mais il faut la faire quand même… Je la fais tranquillement, sereinement. Elle est dangereuse, rapide, technique et au revêtement pas terrible. Je me dis que ce serait vraiment idiot de se retrouver par terre à ce moment-là alors je suis encore plus prudent que d'habitude !
Morzine enfin ! La flamme rouge ! Les spectateurs qui applaudissent ! Le speaker qui me parle, qui me dit de profiter alors que je franchis la ligne d'arrivée. Moi, je suis soulagé, j'ai réussi, je suis allé au bout et je suis dans les temps ! Il me manque une chose cependant… ma médaille !!!!!! Où est-elle ? Je regarde à droite à gauche et puis j'aperçois l'hôtesse là devant moi qui me l'enfile autour du cou tout en me félicitant.
Quelle journée ! Quelle étape ! Quel parcours ! Quelle course ! Quelle organisation ! Quelle fournaise ! Quel public ! Qu'elle est belle cette médaille ! Que du bonheur !
Les résultats à date du CCS (j'espère n'avoir oublié personne)
Plus de 16 500 participants / 11 472 à l'arrivée / plus de 5000 abandons ou hors délai
Arnaud Le Helley 1353e
Stephen Demagny 3636e
Thomas Brulon 3789e
Sébastien Victor 3798e
Frédéric Bourcier 3804e
Emmanuel Bruneau 3980e
Jérôme Le Blay 4970e
Benoit Monnier 5176e
Rémi Jojo 5773e
Christophe Rota 9924e
Eric Carré abandon
Dans le col de la Ramaz par 37-39°C :
Au sommet du col de Joux Plane :
A l'arrivée à Morzine :
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